Quatre mois après les décisions du G20 de Pittsburgh et alors que les
banques devraient réaliser de bons résultats en 2009, Christine Lagarde
lève le voile sur une promesse de Nicolas Sarkozy qui pourrait n'être
qu'un coup d'épée dans l'eau.
Par Guillaume LOIRET (texte)
C’était l’un des engagements - symbolique et plein de bonnes intentions - du sommet du
G20 de Pittsburgh, en septembre dernier : encadrer la rémunération des traders, dont les fiches de paie
ont provoqué la colère des opinions publiques au plus fort de la crise financière.
Après le Royaume-Uni, et
alors que les États-Unis traînent les pieds, la ministre française de l’Économie, Christine Lagarde, précise aujourd'hui dans
un entretien au quotidien français Le Figaro la manière dont la France va procéder : taxer de
50 % tous les bonus versés aux traders opérant en France en 2010, dès lors qu’ils excèdent
27 500 euros. Bercy en attend 360 millions d’euros de recettes.
Un bonus de 360 millions d'euros
Cette
nouvelle taxe concernera donc toutes les banques qui paient l’impôt sur les sociétés (IS) dans l’Hexagone, succursales
des banques étrangères y compris, à l’exclusion toutefois des hedge funds (banques spécialisées dans les investissements à
haut rendement) et des fonds dits "private equity" (investissements dans des sociétés non cotées en Bourse). Son
champ d’application est relativement large, "concernant aussi bien les versements en cash qu'en actions, réalisés cette année
et les années suivantes" précise la ministre. Décryptage : l'impôt s’adapte aux nouvelles normes professionnelles édictées par
la Fédération bancaire française au mois de novembre, qui prévoient qu’au moins 50 % de la rémunération
variable (ou bonus) d'un trader soit différée et étalée sur trois ans, et qu’elle soit versée en
actions au moins pour moitié.
Résultat : un joli bonus de 360 millions d’euros pour l’État (selon une
estimation des versements de bonus fournie par les banques), "dont 270 millions seront consacrés à alimenter le
Fonds de garantie des dépôts" créé en 1999 et destiné à indemniser les déposants en cas de
faillite de leur banque. D’où ce cri du cœur de Christine Lagarde : "Avec cette taxe, nous
allons d’abord renforcer la sécurité des épargnants". Une mesure justifiée selon elle car, "sans les concours exceptionnels
de l’État aux banques, elles n’auraient pas pu réaliser les bénéfices engrangés ces derniers mois". Enfin, Un
reliquat de 90 millions d’euros "sera directement reversé au budget de l’État".
Reste à ce projet, actuellement examiné
par le Conseil d’État, à être défendu par Christine Lagarde devant les députés avant d’être inclus dans
un projet de loi de finances rectificative. La loi pourrait voir le jour au printemps prochain, probablement
après les élections régionales, qui auront lieu mi-mars.
Les banques ont déjà trouvé la parade
Mais alors que le
sommet du G20 de Pittsburgh, qui s'est déroulé en septembre dernier, ou la tribune publiée par Nicolas
Sarkozy et Gordon Brown dans le Wall Street Journal en décembre insistaient sur la nécessité d’une régulation
globale et durable, la "taxe Lagarde" sur les bonus des traders ne s’appliquera qu’en 2010. Le flou
demeure sur son éventuelle reconduction les années suivantes.
Nul besoin cependant d’attendre 2011 pour trouver des failles dans
l’application de cette taxe spéciale traders. Les banques ont déjà fait plancher leurs experts pour la contourner.
Solution la plus simple : prendre en charge le montant de la taxe sans le répercuter sur
les salariés, ce qui permet de ne pas faire fuir les opérateurs financiers vers des banques installées
à l’étranger. Autre possibilité : atténuer les effets de la taxe Lagarde en augmentant les salaires fixes,
et en réduisant parallèlement les rémunérations variables.
Vient enfin le chiffon rouge agité par les opérateurs de marchés
travaillant en France : celui de la fuite des hommes et des capitaux. Ce danger se présente
à la fois sous la forme de la délocalisation par une banque de ses salles de marché
vers d’autres pays, et sous celle du départ pur et simple des opérateurs vers des banques à
Wall Street, Shanghai ou Francfort. Mais Christine Lagarde ne croit pas aux délocalisations des établissements, ni à
l’exode des traders : "Ce serait très 'court-termiste', et pas très raisonnable !", explique la ministre.
Wall
Street ne veut pas entendre parler de taxe
Le seul moyen
d’éviter un tel mouvement semble l’application des
mêmes critères à l’ensemble des banques européennes, voire mondiales, ce qui est loin d’être le cas. Pour
l’heure, seul le Royaume-Uni s'est engagé à taxer les bonus réalisés par les traders de la City,
la première place financière au monde. Londres s'apprête en effet à taxer les primes supérieures à 25
000 livres sterling (27 600 euros)... mais seulement jusqu'à avril 2010. La mesure a été annoncée le
9 décembre par le ministre britannique des Finances, Alistair Darling. Reste à savoir ce qu'en feront les
conservateurs, à qui tous les sondages prédisent une victoire lors des législatives de mai 2010.
De l’autre côté
du Rhin, Angela Merkel salue l’initiative, qu’elle trouve "plaisante", et "qui aura peut-être un effet pédagogique". Mais
aucune loi ne semble prévue sur le sujet, Berlin préférant faire confiance à ses banques, qui se
sont engagées par écrit à respecter les règles sur les bonus établies par le G20 de Pittsburgh.
L’avenir
de la taxe sur les bonus des traders reste finalement suspendu au bon vouloir de Wall Street.
Car, malgré les déclarations outragées de Barack Obama sur le "tas de banquiers gras de Wall Street"
et ces "bonus à 10 millions ou 20 millions de dollars après la pire année pour l’économie",
la Maison Blanche ne compte pas astreindre ses traders à des bonus moins extravagants. Si tout le
monde ou presque est d’accord pour limiter les bonus aux États-Unis, l’intervention de l’État sur le sujet
reste taboue.